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Numéro 45 - rive européenne - décembre 2023

Peter Wells, Recteur honoraire Université de Northampton

Aussi loin que le regard porte ……

Horizon ? L’étymologie grecque indique un « cercle » avec l’idée d’une limite ou d’une contrainte. Suivre le bord extérieur d’un cercle nous ramènera là où nous avons commencé – nous limiter ? Depuis l’intérieur du cercle, il n’y a pas de sortie – de limite ? Toutefois, pour TS Eliot, l’exploration du bord extérieur nous ramène inévitablement au point de départ, mais surtout, « découvrir l’endroit pour la première fois » (1). Ce n’est pas limitant si le voyage autour du bord extérieur du cercle nous apporte une nouvelle connaissance de ce que nous pensions connaître.

Cette idée optimiste et positive peut-elle être développée pour contrecarrer la notion quelque peu restrictive et limitante qu’indique l’étymologie du mot horizon ? Voici un quatuor de suggestions : une banale mais néanmoins profonde, deux suggestions considérées comme nouvelles et, enfin, une plus rationnelle au milieu d’un brouillard de folie. Pris ensemble, elles montrent que les horizons que nous pouvons percevoir exerceront sur nous une pression à laquelle nous ne devons pas résister, car le faire serait effectivement limitant. Nous espérons que cette attraction nous amènera au-delà de ce que nous pouvons facilement comprendre. Comme nous le rappelle le poète anglais du XIXe siècle, Robert Browning, « Ah, mais la portée d’un homme devrait dépasser sa portée, ou à quoi sert un paradis ? » (2)

Trois semaines au cours de l’été 2023 passées seul sur une petite île grecque de la mer Egée – pour la vingtième fois. L’île est orientée à peu près Nord/Sud. Mon séjour s’est partagé sur chacune des côtes opposées, Est et Ouest avec leurs levers et couchers de soleil quotidiens. Cela est devenu habituel, presque nécessaire. Pendant ces moments, une immobilité interne permet d’observer et, cette période de calme suscite la réflexion. Sans l’horizon, il n’y aurait pas de levers/couchers de soleil visibles ; sans ce phénomène céleste, il n’y aurait pas de moments de pause et de réflexion. Les levers et les couchers de soleil ont besoin (dépendent) de l’horizon, tout comme nous avons besoin (nous dépendons) de moments de calme. On pourrait négliger à nos risques et périls cette dépendance et courir le risque de nous considérer comme séparés du monde naturel - nous ne le sommes pas - il existe une interdépendance vitale.

La vue traditionnelle d’un horizon peut attirer notre regard, des horizons plus locaux le peuvent aussi. Par exemple, le bord d’une page avant que la suivante soit révélée, le bord d’un bâtiment qui divise, dans un coin, une route d’une autre et, la « ligne d’esprit » qui sépare la formulation d’une question que l’on a sur le bout de la langue. À chaque horizon local, il y a un choix à faire - tourner la page ou non; tourner le coin ou non; poser la question ou non. Combien de fois nous limitons-nous chaque jour pour résister à ces horizons locaux? Plus souvent que nous pensons.

L’attraction des horizons, qu’ils se soient devant nous dans le paysage ou juste sous notre nez, semble toujours impliquer un élan vers l’avant - qu’y a-t-il là-bas? Quelle est la prochaine étape? On fait souvent l’expérience de quelque chose qui nous ramène à des temps et des événements avant nos premiers souvenirs d’enfance. Au-delà, ce qu’on pourrait appeler, cet horizon de mémoire, ce sont ces personnes, ces lieux et ces événements qui ne nous sont accessibles que de seconde main. En d’autres termes, pour traverser cet horizon pour voir et comprendre le passé, nous avons besoin des disques que d’autres ont faits et laissés pour nous dans les imprimés et les photos, dans les chansons et les histoires, etc. Si le passé nous tire vraiment les manches de cette façon, est-il toujours sage de regarder en arrière ? Une question difficile en effet. Une réponse puissante suggère que traverser cet horizon est d’élargir notre compréhension du présent et, par conséquent, d’échapper aux limites d’une focalisation étroite sur l’ici et maintenant.

Voici une réflexion moins spéculative que les trois exemples précédents. L’erreur, pour le moins, du Brexit, a entrainé que la communauté scientifique britannique soit exclue des fonds liés au programme européen de recherche et d’innovation appelé Horizon. Un résultat, parmi d’autres, vraiment limitant. Les progrès scientifiques ont montré qu’une dimension essentielle de l’activité humaine est la collaboration. Dans cet esprit, le gouvernement britannique vient de signer un accord avec l’UE en vertu duquel la communauté scientifique britannique aura accès au programme Horizon et à ses fonds. Les derniers mots et sentiments reviennent à Simon Jenkins, chroniqueur du journal Guardian, qui explique parfaitement comment un autre type d’horizon a un effet d’attraction positif et optimiste.

« Une île ne peut jamais se séparer de la terre ferme voisine. Si la politique britannique ne peut pas admettre qu’elle a commis une terrible erreur, elle peut au moins commencer à la corriger. Le (programme) Horizon a ouvert la voie. Nous devons espérer qu’une centaine d’Horizons nous attendent. » (3)

(1) TS Eliot (1943) Four Quartets, “Little Gidding”

(2) Robert Browning (1855) Andrea del Sarto

(3) Simon Jenkins (2023) ‘ The Horizon deal shows how to rectify the error of Brexit’ The Guardian , 08/09/2023



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