la revue électronique de l'Institut de Recherche et d'Information sur le Volontariat (iriv) - www.iriv.net
« La meilleure des universités est une collection de livres.»
Thomas Carlyle (Eaglais Fheichein, Ecosse, 1795 – Londres, 1881).
L'institut de recherche et d'information sur le volontariat - iriv (www.iriv.net)
est un Institut privé qui travaille sur le bénévolat et le volontariat & l’éducation et la formation tout
au long de la vie. Créée en 2004 par Bénédicte Halba et Eve-Marie Halba, présidente et
secrétaire générale de l'iriv, la revue propose une réflexion sur des thèmes aussi variés que l'expérience, la promesse,
la différence, ou les confins... avec des témoignages venus de France, d'Europe et du reste du Monde.
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« The greatest university of all is a collection of books.»
Thomas Carlyle (Eaglais Fheichein, Scotland, 1795 – London, 1881).
The institute for research and information on volunteering (www.iriv.net)
is a private institute specializing in the non-for-profit sector in Lifelong Learning (LLL). It has directed,
coordinated, and been involved in many European and national projects. Its electronic review, les rives de l'iriv - www.benevolat.net -
was created in 2004 by Bénédicte Halba and Eve-Marie Halba, president and general secretary of the Institute.
The review has published articles on topics as various as experience, promise, difference or borders with contributions from France,
Europe and worldwide.
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Claire Millot, bénévole association Salam
Si on se représente la vie comme une route sur laquelle on marche, l’horizon est tout au bout, et toujours aussi loin, sauf pour les gens (j’en ai rencontré) qui pense qu’on y avance à reculons, parce que seul notre passé est visible, pas l’avenir.
Pour moi, l’avenir est devant et ce qui est merveilleux, c’est que l’horizon ne se rapproche jamais, qu’on ait 73 ans ou 13 ans. Il est toujours à la même distance, et on peut presque se sentir immortel, du moins si on chemine sereinement.
Mais si on attend d’y arriver, fébrilement, alors l’horizon qui s’éloigne sans cesse est un supplice de Tantale : cette course en avant me semble représenter précisément cette souffrance de l’exilé, qui ne parvient jamais nulle part, toujours en route vers un ailleurs… celui qui pense trouver asile en Allemagne, puis en France, puis…
Les falaises de Douvres épaississent la ligne d’horizon, elles apparaissent parfois, semblent proches à les toucher, puis elles s’estompent et disparaissent ensuite, comme un mirage… Exactement le supplice de Tantale…
Et d’une autre façon, les associations qui aident les exilés se trouvent dans la même impatience, dans le même échec permanent. Notre rêve est toujours aussi lointain, il s’éloigne même, de moins en moins accessible, comme les côtes de l’Angleterre qui s’effacent : un rêve d’accueil, d’offre de structures dignes, de « vivre ensemble » harmonieux. Nous l’avons frôlé avec le Centre d’accueil de jour Jules Ferry à Calais (entre janvier 2015 et octobre 2016) et avec le camp aux normes humanitaires de la Linière à Grande-Synthe (entre mars 2016 et avril 2017). « Plus jamais nous ne verrons des gars survivre sans toilettes et sans point d’eau… et dormir dans la boue… », avons-nous dit entre mars et octobre 2016. Et nous sommes dans une situation bien pire qu’auparavant. Notre horizon s’est brouillé.
Et puis, cet horizon, il arrive qu’il disparaisse même : combien de fois, dans des périodes difficiles, nous, dans les associations qui défendent les migrants, avons-nous perdu la route avec une impression presque physique de cheminer dans le brouillard ? Quand les exilés ont été repoussés hors de Grande-Synthe en novembre 2021, quand nos lieux de distribution sont labourés ou barrés par des enrochements de façon à les rendre impraticables pour nos camionnettes : Où vont-ils pouvoir poser leurs tentes ? Où allons-nous pouvoir donner à manger en toute sécurité ? Avec ces hommes, ces femmes, ces enfants qui comptent sur nous, qui attendent de nous des aides (parfois rien qu’une tente), des solutions à leurs difficultés… Et plus rien n’est évident, ni facile…
A d’autres moments, c’est pire encore, l’horizon est barré. Il n’est même plus voilé, il est remplacé par un mur. Les gens qui ont fait de la prison décrivent ce malaise de n’avoir jamais une vue dégagée, de toujours avoir un mur (celui de la cellule, de la cour) sur lequel le regard butte et ils témoignent des problèmes de vue que cela peut entraîner. Virtuellement, j’ai connu ce mur, un mur gris, en pierres sèches, dans une période où on m’a crue atteinte d’une maladie qui emporte en six mois… Il barre la route, il n’est pas large mais on ne peut pas le contourner.
Je pense que le parcours d’exil est semé de moments où des murs se dressent brutalement, comme sortis de terre… au sens propre : des prisons, des centres de rétention… mais aussi des murs virtuels, des impossibilités d’avancer : l’esclavage en Lybie, une mer qui bloque la progression, la Méditerranée, bien sûr, mais aussi notre mer du Nord qui n’existe d’abord pas du tout dans l’imaginaire du voyageur : 30 kilomètres, qu’est ce que c’est pour celui qui en a fait 5700 depuis Kaboul, 4300 depuis Damas ?… « Me voilà à Calais, demain je suis au Royaume-Uni ». Mais non, les semaines succèdent aux semaines, les mois aux mois souvent… On ne passe pas !
Personnellement, je n’ai pas connu ce mur-là… le brouillard oui, le mur pas encore. Mais je le vois, menaçant, le mur des mentalités porteuses de haine, d’un gouvernement d’extrême droite, qui empêcheraient toute aide, qui chasseraient les gens comme des animaux nuisibles, et pourquoi pas aussi les aidants…
Mais le blocage de la ligne d’horizon n’est définitif que dans la mort et tant qu’on est en vie, on n’a pas le droit de la croire bouchée pour toujours…