la revue électronique de l'Institut de Recherche et d'Information sur le Volontariat (iriv) - www.iriv.net
« La meilleure des universités est une collection de livres.»
Thomas Carlyle (Eaglais Fheichein, Ecosse, 1795 – Londres, 1881).
L'institut de recherche et d'information sur le volontariat - iriv (www.iriv.net)
est un Institut privé qui travaille sur le bénévolat et le volontariat & l’éducation et la formation tout
au long de la vie. Créée en 2004 par Bénédicte Halba et Eve-Marie Halba, présidente et
secrétaire générale de l'iriv, la revue propose une réflexion sur des thèmes aussi variés que l'expérience, la promesse,
la différence, ou les confins... avec des témoignages venus de France, d'Europe et du reste du Monde.
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« The greatest university of all is a collection of books.»
Thomas Carlyle (Eaglais Fheichein, Scotland, 1795 – London, 1881).
The institute for research and information on volunteering (www.iriv.net)
is a private institute specializing in the non-for-profit sector in Lifelong Learning (LLL). It has directed,
coordinated, and been involved in many European and national projects. Its electronic review, les rives de l'iriv - www.benevolat.net -
was created in 2004 by Bénédicte Halba and Eve-Marie Halba, president and general secretary of the Institute.
The review has published articles on topics as various as experience, promise, difference or borders with contributions from France,
Europe and worldwide.
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dr Paula El-Khoury, sociologue et essayiste , Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales (EHESS)
Le 17 octobre 2019 une série de manifestations éclatent au Liban et s’étendent rapidement sur tout le territoire, pour former le soulèvement populaire le plus important de l’histoire du pays. Hommes et femmes de toutes classes sociales, âge, profession, niveau d’éducation et confession religieuse occupent les rues, les places et les institutions pour manifester, discuter et planifier leurs actions contre la classe politique déliquescente, régnant sur un pays miné par des hostilités religio-confessionnelles et une corruption à l’allure mafieuse depuis 45 ans (pendant et après la guerre civile de 1975-1990).
Les Libanais semblent davantage se révolter contre eux-mêmes, contre leur silence et leur asservissement à cette classe politique, que contre elle. Il y a trente ans, pour mettre fin à la guerre, ils ont passé « un pacte avec le diable » : avec les seigneurs de guerre donc, qui se sont recyclés en « seigneurs de paix », s’octroyant une amnistie générale pour tous leurs crimes de guerre. Comme si les libanais avaient dit à ce diable à l’époque : « Prends tout ce que tu veux, à condition que nous ne revenions pas à la guerre civile ».
Cette histoire ressemble malheureusement en tous points à celle qu’on lit dans les contes sur les diables ou les sorcières. On s’en remet totalement à leur bonne volonté tandis qu’eux réaliseront notre rêve un jour et en prendront le prix des années plus tard. Les libanais connaissent parfaitement la morale de l’histoire : celui qui accepte le pacte sera toujours perdant, parce qu’il a tout simplement « vendu son âme au diable. »
Les Libanais semblent prier à haute voix pour leur « pénitence » au cours de ces manifestations. Ils expriment leur enthousiasme face à leurs enfants et à la jeune génération en général, qui leur disent avec incrédulité, et non sans un brin de mépris : « Comment avez-vous accepté tout cela durant toutes ces années sans rien dire ou faire ? » Leur comportement ressemble plus à une expiation de leurs « péchés » qu’à une fierté à l’égard de leurs enfants.
Mais les Libanais n’ont-ils pas contribué au pourrissement de leur pays, ne serait-ce que par épuisement, désespérance ou lâcheté ? N’ont-ils pas participé bon gré mal gré à ce jeu satanique ?
Malheureusement, l'histoire du pacte avec le diable trouve son explication dans des pratiques réelles des Libanais depuis la guerre : sectarisme exacerbé, agression confessionnaliste, et pour une grande partie d’entre eux une implication active dans la corruption pour profiter d’un jeu d’intérêts, et intégrer les cercles proches du pouvoir. Ce qui ne manque pas de nous rappeler les tentations du diable !
Le "péché" des Libanais n'a pas commencé il y a trente ans, mais bien avant, à une période avancée de la guerre civile ; lorsqu'ils ont réalisé que la poursuite de la guerre servait exclusivement des seigneurs de guerre, tout en détruisant ce qui restait de leur pays, de leurs biens et de leur existence. Alors, ils ne se sont pas soulevés contre eux.
Depuis les années 1980, des études montrent en sociologie politique que par peur de la violence meurtrière, les citoyens évitent progressivement de revendiquer leurs droits, ou de demander l’arrêt de la guerre. Ils recourent par contre à une sorte de normalisation de l'absurde. Ils s'adaptent docilement aux situations qui se présentent à eux, aussi aberrantes soient-elles. Le terrain est alors propice à la poursuite de la guerre, ainsi qu’au développement d’une des pires représentations politiques avec la propagation d’une 'économie de corruption. Voilà ce qui s’est passé au Liban, et a abouti à un système aux allures mafieuses saillantes.
Comme dans les contes, des Libanais(e)s ont refusé dès le départ de se plier aux règles de ce jeu. Ils et elles ont organisé depuis la fin de la guerre de nombreuses mobilisations avec un grand impact, mais sur de courtes périodes faute d’être rejoints par le reste de la population.
Ils ont été décrits par leurs compatriotes durant toutes ces années comme des rêveurs, des désespérés, des traîtres à leurs confessions ou des « losers » ? Beaucoup n'ont-ils pas été exclus des centres d'action et de décision politique ou économique ? Ne représentent-ils pas ces personnages de contes qui s’obstinent à prêcher auprès d’un peuple qui ne les regarde pas, qui s'agace de leurs paroles et de leur voix, ou qui se moque d’eux ?
La résistance libanaise n’est-elle qu’un conte ou réussira-t- elle un jour à triompher des sorcières et des diables ?