la revue électronique de l'Institut de Recherche et d'Information sur le Volontariat (iriv) - www.iriv.net
« La meilleure des universités est une collection de livres.»
Thomas Carlyle (Eaglais Fheichein, Ecosse, 1795 – Londres, 1881).
L'institut de recherche et d'information sur le volontariat - iriv (www.iriv.net)
est un Institut privé qui travaille sur le bénévolat et le volontariat & l’éducation et la formation tout
au long de la vie. Créée en 2004 par Bénédicte Halba et Eve-Marie Halba, présidente et
secrétaire générale de l'iriv, la revue propose une réflexion sur des thèmes aussi variés que l'expérience, la promesse,
la différence, ou les confins... avec des témoignages venus de France, d'Europe et du reste du Monde.
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« The greatest university of all is a collection of books.»
Thomas Carlyle (Eaglais Fheichein, Scotland, 1795 – London, 1881).
The institute for research and information on volunteering (www.iriv.net)
is a private institute specializing in the non-for-profit sector in Lifelong Learning (LLL). It has directed,
coordinated, and been involved in many European and national projects. Its electronic review, les rives de l'iriv - www.benevolat.net -
was created in 2004 by Bénédicte Halba and Eve-Marie Halba, president and general secretary of the Institute.
The review has published articles on topics as various as experience, promise, difference or borders with contributions from France,
Europe and worldwide.
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dr Giovanna Campani, professeure d'Antrhopologie à l'Université de Florence (Italie)
Dans l’année de grâce 1725, Jean-Philippe Rameau assiste à une danse, exécutée par un groupe d’indigènes des Indes Occidentales (l’Amérique), plus précisément de Louisiane, à la Comédie Italienne. Les rythmes, très différents de ceux des ballets versaillais, inspirent au compositeur «La Danse du Grand Calumet de la Paix exécutée par les Sauvages », dans la quatrième et dernière entrée de l’Opera Ballet « Les Indes Galantes » (1), «Les Sauvages », qui fait suite au «Turc généreux », « Les Incas du Pérou », « Les fleurs, fête persane ». L’idée que la rencontre avec l’autre - y compris des « Sauvages » soit une source d’inspiration culturelle, pointe le nez au siècle des Lumières. Elle brise l’enfermement dans un espace culturel quadrillé par les dogmes de la “vraie” religion, apostolique et romaine. Elle ressource surtout les références classiques de l’Antiquité, malgré l’existence d’échanges séculaires entre savants arabes et scientifiques occidentaux au cours du Moyen Age.
Déjà au XVI siècle, Michel de Montaigne, dans le chapitre de ses « Essais » (2), « Des Cannibales », avait bien écrit que «chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage », en anticipant le relativisme culturel. La dénonciation de la violence coloniale européenne, qui ne manque pas dans «Les Indes Galantes», n’est plus limitée aux voix isolées de quelque moine ou écrivain marginalisé. Le regard sur l’autre, toutefois, est imbu d’un paternalisme bienveillant, comme celui dont Robinson fait preuve avec Vendredi (le bon Sauvage), et d’un profond sentiment de supériorité du “mode de vie européenne”, rappelé au bon souvenir de la presse par une Présidente de la Commission Européenne, dans une référence anachronique…
Pourtant, dans l’année de grâce 1736, onze ans après l’exhibition des Indigènes de Louisiane, la Comédie Française, dans l’envoutante “Danse des Sauvages” de Rameau révèle à quel point la rencontre avec l’altérité peut être une puissante source d’innovation culturelle (3). Le public de Rameau en fut-il conscient? Au fil du siècle, l’intérêt pour l’altérité ne fit que grandir, comme les cabinets de curiosités et les récits de voyages en témoignent…Au XIXème, malgré une violence coloniale grandissante, la rencontre avec l’autre devient la source culturelle principale pour la compréhension de nous-mêmes… Une jeune discipline, l’anthropologie culturelle, se consacre à la connaissance des autres, en rappelant aux européens civilisés que nous « homo sapiens » avons passé la plupart de notre passage sur cette planète comme des “sauvages” - étymologiquement ceux de la forêt silvestris en latin. Un des premiers anthropologues, Taylor Edward Tylor forge une nouvelle définition de la culture: «La culture ou la civilisation, entendue dans son sens ethnographique étendu, est cet ensemble complexe qui comprend les connaissances, les croyances, l'art, le droit, la morale, les coutumes, et toutes les autres aptitudes et habitudes qu'acquiert l'homme en tant que membre d'une société» (4)
La rencontre avec l’autre -amérindiens, inuits, aborigènes- révèle les véritables sources de notre culture, dans sa confrontation avec la nature. Les sources culturelles ne sont pas des idées immuables dans des cieux figés, les paroles révélées d’un Dieu, qui nous aurait insufflé l’esprit de raison et d’éthique. Les sources culturelles sont une élaboration collective millénaire des relations parentales et sociales, reconfigurées au travers des tabous et mythes, qui définissent la position du groupe ou peuple dans un espace d’ordre au milieu d’un univers insaisissable- ce qui constitue cultures et civilisations. (5)
Au début du XX siècle, James George Frazer dresse un inventaire planétaire des mythes et des rites, en tentant d’interpréter une masse de faits sociaux et religieux. Au-delà des transformations – de l’animisme au polythéisme et au monothéisme- le dreamtime des aborigènes d’Australie(6), la Genesis biblique, le Kaos des Grecs, Tepeu (le Créateur ) et Gucumatz(le Formateur),) des Maya , le Quetzalcoatl des Aztèques…répondent tous aux mêmes préoccupations…
De la source unique de la culture humaine, au fil des millénaires, jaillissent des diversités culturelles extraordinaires, comme d’une source communes jaillissent plusieurs ruisseaux, qui longent des paysages variés… Or la diversité n’est pas seulement un matériau d’étude pour les anthropologues…elle se révèle aussi, comme dans la Danse du Calumet de Rameau, une inépuisable source d’inspiration et d’innovation pour les artistes. Pensons à Paul Gauguin et son atelier des Tropiques. Evoquons aussi le « primitivisme », mouvement né de l’intérêt d’artistes européens pour des œuvres venues d’Afrique ou d’Océanie au tournant de 1900. L’influence des œuvres dites « primitives » a été décisive sur l’émergence du cubisme (notamment celui de Picasso), du fauvisme, et de ce que l’on nomme les « avant-gardes »…sans oublier que la recherche de l’altérité représente aussi une plus profonde compréhension de soi…
(1) Rameau, Jean-Philippe (1735) , « Les Indes Galantes », Paris, 1735- Fraser J. Le Rameau d'or (1911-1915), édition fr. par Nicole Belmont et Michel Izard, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1984
(2) Montaigne, Michel de (1533-1592), « Essais », , Bordeaux.
(3) “Et un tel passage ne résonne pas comme le reste de la musique, française à souhait, du spectacle. Celui-ci procédait à l'époque d'une idéologie impériale – la galanterie s'imposant comme système d'acclimatation et de domination –, tout en offrant, rétrospectivement mais pas seulement, des trouées, sinon anticoloniales, du moins en faveur du droit des peuples. Comme si des regards extérieurs, étrangers aux codes opératiques, étaient parvenus à libérer Les Indes galantes de son corset normatif, en retrouvant l'esprit du XVIII e siècle, que résume ainsi l'historien Antoine Lilti dans son livre « L’Héritage des Lumières. Ambivalences de la modernité »- « L’intuition inaugurale d’un rapport critique d’une société à elle-même. »- Parraud , Antoine (2019), « Pour une approche dynamique des études décoloniales » https://www.mediapart.fr/journal /culture-idees/220919/pour-une-approche-dynamique-des-etudesdecoloniales et https://www.mediapart.fr/biographie/antoine-perraud
(4) Tylor, Taylor Edward (1871), “Primitive culture : Resaerches into the Devlopment of Mythology, Philosophy, Religion, Language, Art and Custom” , Londres. Tylor Edward Burnett, LA CIVILISATION PRIMITIVE. Tome premier. Traduit de l'Anglais sur la deuxième édition (1873) par Pauline Brunet. Paris: librairie C. Reinwald, Schleicher
(5) Ibidem
(6) temps du rêve - Tjukurrpa en langue anangu, aussi appelé « rêve » ou « dreamtime » en Anglais- thème central de la culture du peuple autochtone des aborigènes d'Australie qui explique les origines de leur monde, de l'Australie et de ses habitants.