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Numéro 37 - rive académique - décembre 2019

dr Eve-Marie Halba, secrétaire générale de l'iriv, co-fondatrice des rives de l'iriv

Ressource des sources

Des mots aussi différents que source, règle, résurgent, roi ou insurrection ont le même radical indo-européen, *reg signifiant « droit » et « direction ». La source est d’abord l’eau qui sort de terre et l’issue par laquelle elle se déverse. Au XVIIe siècle, elle désigne l’endroit où le cours d’eau prend sa naissance, voir l’expression couler de source aux sens propre et figuré .  Par métaphore, le nom signifie dès le XIIe siècle, l’origine, l’événement qui produit un effet, la cause d’une opération intellectuelle. Au XVIIe siècle, elle est le document, le texte original (citer sa source, puiser à la source). Dans un emploi littéraire, la source est une personne, un sentiment d’où découlent des biens moraux. La source est aussi le lieu à partir duquel un phénomène matériel se propage (source de lumière), emploi proche de foyer. Au XIXe siècle, c’est l’élément constitutif d’une doctrine, d’une personnalité. La psychanalyse s’en empare au XXe siècle pour désigner l’origine interne d’une pulsion.

Le doublet étymologique sourdre / surgir est tiré du latin surgere (1). Sourdre, attesté dès le XIe siècle, est le synonyme de se présenter, apparaître (pour une personne) mais aussi de s’élever (pour un oiseau ou une rumeur). Il exprime aussi bien l’apparition d’un astre ou d’un phénomène lumineux que le surgissement de l’eau, des larmes et du sang. Surgir, attesté au XIXe siècle, marque l’apparition soudaine d’un être vivant, d’une construction ou d’une chose abstraite, d’une image se présentant à l’esprit. Le verbe s’insurger exprime l’action violente contre une autorité que l’on retrouve dans tous les dérivés : insurgents, insurgé, insurrection, insurrectionnaire (2). L’insurgé se dresse soudainement contre une situation qu’il juge autoritaire et injuste quand le révolutionnaire ou le révolté entend en changer la dynamique (revolvere, en latin, signifie « se retourner »).

Ressource est un dérivé de source. En ancien français (3), le mot exprime le secours obtenu d’un pays, puis le relèvement, le rétablissement (4). Par métonymie, la ressource est le moyen de faire face à une situation difficile (sans ressource). Elle est la capacité à fournir un nouvel effort après une dépense d’énergie ou à soutenir quelqu’un moralement. Au pluriel, le mot exprime les moyens d’action et les capacités personnelles (plein de ressources). Au XVIIIe siècle, les ressources peuvent évoquer deux formes de richesse, la langue et l’économie d’un pays. L’expression ressources humaines, développée à partir du XIXe siècle, montre que l’ensemble des personnes d’une entreprise en constitue la richesse. L’acronyme DRH (5) révèle aussi la déshumanisation d’un système considérant les employés comme une masse anonyme  embauchée ou débauchée selon les aléas de l’économie.

Une des tragédies les plus émouvantes de Sophocle, Œdipe Roi, permet d’approfondir les méandres de la source. La peste frappant Thèbes, Œdipe recueille la prophétie d’Apollon : il faut « chasser la souillure qui nourrit le pays ». Le roi mène l’enquête et découvre avec horreur qu’il est la source du mal. Œdipe est l’incarnation paradoxale de la quête de vérité et de son incapacité ontologique à l’accepter : il se croit le modeste fils de Polybe et de Mérope et non l’enfant royal de Laïos et de Jocaste (6). Pourtant, l’étymologie de son nom Œdipe, « pieds percés » en grec, est la preuve physique de la tentative d’infanticide de ses vrais parents. Quand il comprend qu’il a tué son père et épousé sa mère, il se crève alors les yeux pour échapper à cette cruelle révélation, la seconde mutilation imprime dans con corps l’acceptation de la vérité refusée jusqu’alors. La quête des origines est-elle nécessaire ? La mythologie considère qu’elle est source de souffrance et de tragédie : les parents ont entravé la marche de leur fils en s’en prenant à ses pieds, Œdipe s’aveugle pour faire du reste de sa vie une errance sans but. La source de la malédiction de la maison de Thèbes est divine : Apollon avait prévenu les rois de Thèbes successifs de leur destinée. Personne ne peut y échapper.

La Fontaine le dit parfaitement dans la morale de L’Horoscope

On rencontre sa destinée
Par les chemins qu’on prend pour l’éviter

Les recherches lexicales réservent souvent des surprises. Source semblait a priori un mot plutôt simple, difficile d’imaginer les chemins empruntés au cours de mon enquête. Les pistes étymologiques, l’arborescence des dérivés, des composés, des expressions et locutions, obligent à des détours, font remonter le cours du vocabulaire et rapprochent des mots apparemment éloignés. Finalement, pour mener à bien une analyse lexicale il faut être un peu sourcier !

(1) Sours/Sors, participe passé de sourdre, est hérité du latin populaire sursum, déformation de surrectum, supin de surgere. Un doublet étymologique est la coexistence de deux formes tirées du même étymon : la forme populaire (sourdre) a évolué phonétiquement et n’est pas aussi proche de l’étymon que la forme savante (surgir).
(2) Pour les historiens, insurgents s’applique aux troupes hongroises levées pour servir l’Etat (mot emprunté à l’anglo-saxon insurgent désignant les Américains révoltés contre l’autorité britannique).
(3) Ressource est la forme refaite au début du XVe siècle de resorce, participe passé féminin du verbe resordre.
(4) En terme de fauconnerie (puis d’aéronautique), la ressource est la remontée de l’oiseau (ou de l’avion) après un mouvement de descente.
(5) Directeur/Directrice des Ressources Humaines
(6)
Très vite pourtant, le devin Tirésias lui avait ouvert les yeux sur sa culpabilité. Mais Œdipe s’insurge et croit qu’on veut lui prendre le trône. L’annonce de la mort de son père adoptif et le vrai récit de la mort de son géniteur obligent le roi de Thèbes à accepter la vérité



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