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Numéro 21 - rive colombienne - décembre 2011

Diomar Gonzalez Serrano, psychologue, Master en Psychanalyse (Université de Paris 8), secrétaire générale adjointe de l'iriv

Regard thérapeutique sur ceux qui viennent d'ailleurs

Le déplacement des personnes, individuel ou collectif, d'un endroit géographique vers un autre est connu historiquement sous le nom de migration (1). Ceux qui sont venus d'autres terres et cultures sont appelés migrants. Autour de cette appellation, beaucoup de regards montrent les différentes façons de les considérer et d'établir un lien social avec elles.  

Les regards sur les migrants varient en fonction de celui qui regarde. Le regard social de l'Etat qui fait des distinctions statistiques : Combien de migrants entrent ? Combien sortent ? Le regard crispé de la société, souvent peu à l'aise avec les étrangers, stigmatise les migrants ou dénote une certaine indifférence. Enfin, le regard bienveillant de ceux qui créent des collectifs, des associations, ou des institutions pour les accueillir, les accompagner et les aider.  

Parmi tous ces regards, celui du thérapeute se détache. J'ai travaillé avec des personnes latino-américaines, établies provisoirement ou définitivement en France, qui ont voulu parler de " leur" expérience de mobilité (2). Mon regard s'est focalisé sur les événements affectifs intimes et personnels. En préservant la confidentialité de ces entretiens, voici la situation de ceux qui se battent quotidiennement pour s'intégrer professionnellement, socialement et culturellement de ce coté de la mer, et redonner une valeur à leur existence.  

"S'installer dans un autre monde", différent de ses racines, sans pouvoir se détacher complètement de ses liens familiers, de ses endroits habituels, constitue une expérience et une épreuve. Se séparer de ses références quotidiennes provoque des suspensions et des absences qui confronte ces personnes déplacées à un "vide". L'étonnement d'être plongé dans un autre quotidien, et tous les sentiments qui peuvent en découler, sont très proches de ceux qu'on peut ressentir face à la disparition d'un être aimé.  

On peut dire qu'un processus de deuil (3) est sous-jacent à cette démarche, qui implique un travail de découverte et d'adaptation à un nouveau contexte : apprendre une nouvelle langue, de nouveaux codes sociaux, des formes de citoyenneté, des règles administratives. Changer la manière d'établir des relations interpersonnelles ou d'amitié, s'adapter à des horaires différents, à un autre climat, à de nouvelles odeurs, des saveurs... C'est assimiler des valeurs culturelles en prenant ses distances vis à vis de son propre répertoire.  

Dans la société, des mécanismes traditionnels permettent d'accompagner les personnes à l'occasion du deuil d'un être aimé. Ce sont les rituels (4), qui permettent de dire adieu aux morts (5) et de pouvoir se repositionner après la perte. Cet accompagnement est essentiel pour le travail du deuil (6).  

Pour accompagner individuellement des personnes parties de chez elles, il est important, dans le cadre d'un accompagnement thérapeutique, de proposer un lieu de parole pour guérir des pertes et des souffrances causées par l'expérience de cette mobilité. Grâce à la parole, s'élabore la question du deuil et de sa douleur intrinsèque. C'est aussi une manière de se replacer par rapport à ses origines, à ses proches, de se reconstruire quand on se sent coupé de son passé. En partant de leur propre histoire, " les personnes venues de l'autre côté de la mer " peuvent alors structurer leur projet de vie.  

L'accompagnement permet d'ouvrir un chemin et comprendre ce que souhaitent ceux qui viennent d'ailleurs. Ils doivent effectuer un travail de deuil qui leur permettra de savoir s'ils désirent rester ou repartir. Ils pourront ainsi arriver à reconstruire un " être, et se sentir mieux dans leur peau, dans leur vie ", quel que soit leur projet de vie. La question du deuil est alors essentielle pour ceux qui veulent se donner un nouveau souffle pour rebondir, enrichis par leur culture d'origine et préparés à la conquête du pays où ils ont choisi de vivre.  

(1) " Déplacement volontaire d'individus ou de populations d'un pays dans un autre ou d'une région dans une autre, pour des raisons économiques, politiques ou culturelles. Voyage annuel d'une population animale depuis son aire de reproduction jusqu'à une aire d'hivernage parfois très éloignée et voyage de retour, généralement par le même chemin " (définition de migration in Larousse Multidico).
(2) A l'intérieur du club, El taller " la tribu ". Cité des métiers. Cité des sciences & de l'Industrie. Atelier destiné aux personnes d'origine latino-américaine, à la recherche d'emploi, voulant opérer une conversion professionnelle ou créer une activité. La Tribu " l'autre sud " propose un rendez-vous mensuel d'échange et d'entraide.
(3) " Le deuil est la réaction à la perte d'une personne aimée, ou d'une abstraction mise à sa place : la patrie, la liberté, un idéal, etc. " (S. Feud, Deuil et mélancolie, livre XIII, in Œuvres complètes de Freud, PUF, Paris, 1917).
(4) " Ensemble de prescriptions qui règlent la célébration du culte en usage dans une communauté religieuse. Geste, célébration prescrit(e) par la liturgie d'une religion. Rituel. Rite(s) du cérémonial, du culte, de la sépulture. " (définition du "rite" in Dictionnaire français en ligne)
(5) " Cérémonies solennelles qui accompagnent l'enterrement d'une personnalité " (définition de "funérailles", in Dictionnaire français en ligne)
(6) " Le travail du deuil prend le temps nécessaire pour que soit exécuté en détail le commandement de l'épreuve réalité, travail après lequel le moi peut libérer sa libido de l'objet perdu " (S. Freud, Deuil et mélancolie, op.cit.)



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